01/06/2011
Tribune de Michèle ALLIOT-MARIE dans le figaro
Relancer l'ascenseur social
TRIBUNE -Michèle Alliot-Marie propose de replacer les classes moyennes au cœur du dynamisme économique.
Les classes moyennes ont initié les révolutions qui ont construit la France moderne. Trois quarts des Français estiment aujourd'hui y appartenir ou y aspirent.Ils partagent aussi le sentiment de s'appauvrir, de perdre leur influence et leurs droits.
En 1996, dans La Grande Peur des classes moyennes (Éditions de la Table Ronde), je décrivais leur rôle structurant, leurs valeurs, leurs aspirations, mais aussi leur peur du déclassement.
De la peur on est passé à l'exaspération devant un pouvoir d'achat estimé insuffisant, la mise en cause de leur système de valeurs, un ascenseur social grippé, un système technocratique jugé lent, arrogant et autiste.
Leur pouvoir d'achat, malgré son augmentation incontestable, leur paraît insuffisant devant la hausse des prix des biens indispensables. Même un emploi ne garantit plus de pouvoir faire face.
Leurs valeurs d'effort, de justice sont, à leurs yeux, bafouées par les salaires extravagants de traders ou de patrons qui utilisent les capitaux des autres sans prendre eux-mêmes de risques, et inversement par les fraudes de certains qui abusent des systèmes de protection.
L'ascenseur social leur semble en panne. Les avancements à l'ancienneté, les statuts de la fonction publique figent les espoirs de promotion professionnelle et sociale.
Ils jugent les pouvoirs publics autistes, inconséquents, arrogants. Ils ne supportent plus d'être promenés de service en service, parfois d'un département à l'autre, pour récupérer un papier, d'être menacés de saisie pour des contraventions déjà payées, de voir une entreprise mise en péril par l'application absurde d'un règlement ou la lenteur d'un service public.
Une véritable révolte
Sous-estimer le fossé qui se creuse entre les classes moyennes et l'État serait ignorer les risques économiques et politiques d'une véritable révolte.
La France a de meilleurs résultats que la plupart de ses voisins, en matière de croissance, de baisse du chômage, d'augmentation des investissements… Elle a de nombreux atouts. Pour les valoriser, elle doit replacer les classes moyennes au cœur du dynamisme économique en leur offrant la perspective d'améliorer leur sort par leurs efforts et leurs initiatives. Améliorer leur pouvoir d'achat implique d'abord de l'emploi. Un parent ou un enfant au chômage, ce sont des revenus en moins et des dépenses en plus.
L'emploi exige croissance et compétitivité, notamment des PME. L'une et l'autre dépendent largement de la motivation des salariés des classes moyennes, cadres ou ouvriers spécialisés. La valorisation de leur rôle, la participation, l'intéressement aux résultats doivent être mis au cœur du fonctionnement de l'entreprise.
Recréer un sentiment de justice implique d'inventer la méritocratie républicaine du XXIe siècle. La promotion sociale, comme le montrent les armées, se construit par la formation permanente recentrée sur le métier,sur des statuts du secteur public garantissant réellement la possibilitéde progresser de la base au sommet.
Refonder la confiance en l'État suppose de réconcilier les classes moyennes et la politique.
Un divorce profond
Le monde politique est essentiellement issu des classes moyennes. Paradoxalement, le divorce est aujourd'hui profond.
Dire la vérité sur la nécessité des réformes, éviter les effets d'annonce, privilégier l'intérêt général au court terme électoral, renvoyer l'ascenseur sont les bases de la crédibilité politique.
Les classes moyennes jugent qu'on leur demande toujours plus sans jamais rien en retour. L'effort est accepté s'il est récompensé. Là, tout est à inventer.
Quand l'État a aidé les banques lors de la crise, il a prêté l'argent et en a perçu les intérêts. Inventons un tel retour pour le contribuable soumis à taxe exceptionnelle lorsque le bénéficiaire refait des profits, pour l'assuré quand le nombre de vols diminue, pour le client de banques qui s'enrichissent avec l'argent de son compte courant.
L'État, c'est aussi la technostructure. Les classes moyennes en attendent compétence, écoute, respect.
Moins de textes, plus clairs, mieux appliqués et contrôlés sur le terrain par leurs rapporteurs parlementaires: c'est une exigence de crédibilité et de confiance. Trop souvent des administrations convaincues d'incarner l'intérêt général, des organismes plus préoccupés d'eux-mêmes que des citoyens bloquent l'application des lois.
Chaque membre des classes moyennes entend être respecté. Il refuse que d'autres décident pour lui, qu'ils soient élites économiques internationalisées ou technocrates imbus de schémas théoriques. Il attend, en retour de ses impôts, la qualité du service rendu.
Loin d'ignorer ou d'étouffer l'expression des classes moyennes, il faut comprendre ce qui les révolte, écouter leurs aspirations, leur donner l'oxygène qu'elles espèrent pour être le poumon d'une France qui avance.
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